Meadowbrook au fil des siècles – une ligne du temps

Meadowbrook au fil des siècles – une ligne du temps

par Angela Rahaniotis

avec Sally Cole et Larry Paul

En 2019, Les Amis du parc Meadowbrook marque trente ans à conserver et à protéger Meadowbrook, l’un des derniers grands espaces verts dans le sud-ouest de Montréal. Le site de 57 hectares chevauche Côte Saint-Luc et Lachine (anciennement Ville Saint-Pierre) et jouxte Montréal-Ouest. Les derniers vestiges – 200 mètres – de l’historique rivière  Saint-Pierre traversent le terrain. Le propriétaire actuel (depuis 2006) est le promoteur Groupe Pacific, qui le loue à un club de golf. Non seulement Les Amis cherche à empêcher tout développement sur le terrain, mais encore le groupe veut en faire un parc nature urbain, accessible à tous et ainsi conserver une tranche de l’histoire naturelle et culturelle de notre ville.

À quoi ressemblait Meadowbrook ? À quoi a-t-il pu servir ? Qui étaient les peuples, les visiteurs, les colons et les propriétaires qui l’ont occupé au fil des siècles ? Des recherches dans les cartes historiques et les registres fonciers révèlent des faits très intéressants sur l’évolution de Meadowbrook et des environs. Vous trouverez ci-bas le fruit de nos recherches sous forme de ligne du temps. (Note : nous avons indiqué sur les cartes l’emplacement de Meadowbrook. Sur les cartes plus anciennes, il s’agit d’une approximation.)

Avant 1535 : Les résultats de fouilles archéologiques font remonter la présence humaine sur l’ile de Montréal à environ 4000 à 5000 ans. Des peuples nomades ont chassé et pêché sur les berges de la rivière Saint-Pierre pendant des millénaires, se réunissant à des camps de pêche l’été pour ensuite se disperser en petites bandes vers les territoires de chasse d’hiver. Au 14e siècle, certains groupes ont adopté l’agriculture et habitaient un même endroit pendant 15 à 20 ans avant de déménager plus loin et de défricher la terre pour la cultiver. Au 16e siècle, les Iroquois (Haudenosaunee) faisaient pousser du maïs, des haricots, des courges et du tabac dans le sol fertile de la vallée de la rivière Saint-Pierre.

1535Jacques Cartier arrive à Hochelaga. Il décrit un village iroquois fortifié d’environ 1500 habitants, en retrait du fleuve Saint-Laurent et près de champs cultivés en bordure de la rivière Saint-Pierre : « trouver les terres labourées, & belles grandes champaignes plaines de bledz de leur terre, qui est comme mil de bresil, aussy gros ou plus que poix, dequoy vivent ainsi comme nous faisons de fourment ; & au parmy d’icelles champaignes est située la ville de Hochelaga, prés & joignant une montaigne qui est à l’entour d’icelle, labourée & fort fertile. » 

Carte fantaisiste de Giacomo Gastaldi de l’arrivée de Cartier à Hochelaga tirée de “Delle navigationi et viaggi” (1556) de Giovanni Battista Ramusio (Bibliothèque et Archives Canada, Réf. no. R11981-224-1-E). Meadowbrook est encerclé en vert.

1611Samuel de Champlain débarque à Hochelaga : les champs et les prairies ont été abandonnés et il n’y a plus trace du village fortifié. Il écrit : – « et proches de ladite place Royalle y a une petite riviere [Saint Pierre] qui va assez avant dedans les terres, tout le long de laquelle y a plus de 60 arpens de terre desertés qui sont comme prairies, où l’on pourroit semer des grains, & y faire des jardinages. Autresfois des sauvages y ont labouré, mais ils les ont quitées pour les guerres ordinaires qu’ils y avoient. Il y a aussi grande quantité d’autres belles prairies pour nourrir tel nombre de bestail que l’on voudra : & de toutes les sortes de bois qu’avons en nos forests de pardeça : avec quantité de vignes, noyers, prunes, serizes, fraises, & autres sortes qui sont très-bonnes à manger, entre autres une qui est fort excellente, qui a le goût sucrain, tirans à celuy des plantaines (qui est un fruit des Indes) & est aussi blanche que neige, & la fueille ressemblant aux orties, & rampe le long des arbres & de la terre, comme le lierre. La pesche du poisson y est fort abondante, & de toutes les especes que nous avons en France, & de beaucoup d’autres que nous n’avons point, qui sont très-bons : comme aussi la chasse des oiseaux aussi de diferentes especes : & celle des Cerfs, Daims, Chevreuls, Caribous, Lapins, Loups-serviers, Ours, Castors, & autres petites bestes qui y sont en telle quantité, que durant que nous fusmes audit saut, nous n’en manquasmes aucunement. »

Carte de Champlain : A Place Royale (aujourd’hui Pointe-à-Callière) ; D rivière Saint-Pierre r ; E prairie ; G Lac Saint-Pierre (“Oeuvres de Champlain,” par Abbé C.-H. Laverdière, 1870, 2ième édition, publié par l’Université Laval).

 1640 – Pierre Chevrier de Fancamp et Jérôme Le Royer de la Dauversière, fondateurs de La Société Notre-Dame de Montréal, se voient accorder une seigneurie en Nouvelle-France :… « une étendue de terre de deux lieues de large, le long du Saint-Laurent, à partir de l’embouchure de la rivière de l’Assomption sur six lieues de profondeur. »  (Le nom de la rivière, du lac, de la côte et du coteau vient probablement de Pierre Chevrier)

1642 – Financés par La Société Notre-Dame de Montréal, Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve et Jeanne Mance arrivent sur l’ile et jettent les fondations de Ville-Marie. Louis Prud’homme est parmi les premiers colons.

1650 – Les colons Jean Descaris (ou Déscarries, Decary, Décarie) dit le Houx, et Jean Leduc reçoivent des terres qui s’étendent depuis l’avenue Atwater d’aujourd’hui jusqu’à Lachine. Les terres au sud et à l’ouest du mont Royal sont boisées et marécageuses, traversées par de nombreux ruisseaux qui alimentent la rivière et le lac Saint-Pierre. Les colons défrichent les forêts et établissent des fermes sur les prairies bien irriguées et fertiles le long de la rivière.

1653 De nouveaux colons dont Marin Hurtubise et Honoré Danis/Dany s’établissent dans le secteur.

1663 – La Société de Notre-Dame de Montréal est dissoute et l’administration de l’ile de Montréal passe aux Sieurs du Séminaire de Saint-Sulpice. Les Sulpiciens divisent l’ile en côtes ou quartiers, un système de concession comportant des lots de 40 à 60 arpents (environ 34 à 51 acres), à la base du cadastre de l’ile.

1675 – Jean Descaris achète 80 arpents près du lac Saint-Pierre.

1679 Les Sulpiciens accordent à Jean Descaris une autre concession de 80 arpents « au bout et joignant la concession qu’il possède déjà au lac Saint-Pierre ». A sa mort en 1687, c’est son fils ainé Paul qui en hérite.

1687 – Concession de terre à Pierre Hurtubise (fils de Marin Hurtubise) dans ce qui est de nos jours la ville de Côte-Saint-Luc. Il s’agit de boisés et de prairies procurant à la fois des terres fertiles et de bons territoires de chasse.

1693 – Première mention du pionnier Jean Monet (Monette) dans le secteur.

1701 – « La Grande paix de Montréal » est signée par Louis-Hector de Callière, gouverneur de la Nouvelle- France et 39 Premières Nations, mettant un terme aux hostilités entre les Iroquois (alliés des Hollandais et des Anglais) et les Hurons/Algonquins (alliés des Français). Les colons, ou habitants, auparavant pris en souricière entre les parties de cette guerre pour les fourrures et souvent appelés à rejoindre la milice, peuvent vivre en paix et cultiver la terre, faire l’élevage de cochons, de volaille et de moutons et s’établir pour de bon.

1702 – Propriétaires sur l’ile de Montréal

Copie d’une carte du sulpicien Vachon de Belmont, Archives de Montréal, VM66-S1P025.

Détail de la carte de 1702, montrant les propriétaires Descarris, Leduc, Dany, Hurtubise, Parent et Legault (dit DesLauriers) entre autres établis sur la Côte Saint-Pierre. Les terres au nord de la ligne pointillée sont des prairies et des boisés non concédés, bons pour la chasse.

 

Archives de Montréal, VM66-S1P025

1731 Cette carte est une reconstruction moderne de données d’archives consignées dans le Livre terrier de l’île de Montréal, compilées par des historiens de l’Université Laval et présentées sous forme de carte. Les lots sont numérotés à des fins d’identification seulement et ne reflètent pas les numéros de cadastre. De plus, leur emplacement est aussi approximatif.

Propriétaires à noter dans le secteur : Descaries (5533, 6124, 6125) ; Danis (5185, 5188, 5191, 6120) ; Prud’homme (6113, 6121) ; Monet (5184) et Leduc (5178).

Détail de la carte « L’archipel de Montréal au XVIIIe siècle ». © Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal / Université Laval (Note: Lac à la Loutre=Lac St Pierre).

1700 (circa) Page du Livre terrier de l’île de Montréal montrant les transactions de la famille Décarie autour de 1700.

Source : Prêtres de Saint-Sulpice de Montréal.

1776 Première mention de Pierre Lemieux dans la paroisse de Notre-Dame

1817Première mention de Joseph L’Archevêque, dit Larche dans la paroisse de Lachine

1818 209 personnes vivent à ce qui est aujourd’hui Côte-Saint-Luc et 177 habitent le Coteau Saint-Pierre.

1834 Cette carte montre les paroisses, les routes (Côte-Saint-Luc), la rivière Saint-Pierre, les fermes et les nombreux vergers dans le secteur.

Détail de la carte d’André Jobin, BAnQ, http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/224399.

1855Le Grand Tronc pousse ses rails jusqu’à l’extrémité sud du Montréal-Ouest d’aujourd’hui.

1872 Ouverture de la piste de course Blue Bonnets sur la ferme de Jos. Decary située dans le Montréal-Ouest d’aujourd’hui.

1873Thomas Trenholme (fondateur d’Elmhurst Dairy) arrive à Montréal et se lance dans la production laitière dans le secteur.

1879 – Carte du secteur montrant les propriétaires. Notez les lots 116, 117, 118 et 121, 122, 130, 131 qui forment le Meadowbrook d’aujourd’hui (surligné en vert). On voit la piste Blue Bonnets un peu plus haut à droite.

Détail de la carte de H.W. Hopkins, BAnQ, http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/224412.

1881-1886 – Le gouvernement fédéral octroie 25 millions $ et 25 millions d’acres au Canadian Pacific Railway pour bâtir un chemin de fer transcontinental.

1886 Les rails du CPR font leur apparition dans le secteur, enclavant Meadowbrook sur trois côtés et coupant la piste Blue Bonnets en deux (elle rouvrira sur Décarie en 1907).

1890Carte du secteur montrant les rails du CPR et de l’Ontario and Quebec Railway, une filiale du CPR

Détail de la carte de H. Malingre, Bibliothèque de l’Université McGill, Réf. no. MARCXML.

1893 La paroisse de Notre-Dame-de-Grâce, qui s’étendait autrefois de l’avenue Atwater à Lachine, est subdivisée. Une partie devient le village de Saint-Pierre-aux-Liens.

1897 Montréal-Ouest est incorporée. La nouvelle ville fait 400 acres, compte 50 maisons et une population de 350 âmes.

Archives de Montréal, archivesdemontreal.com/2014/04/07/lagriculture-sur-lile-de-montreal-depuis-les-iroquiens-du-saint-laurent/

 

Pendant plus de deux-cents ans, les fermes et les vergers dans le secteur de Meadowbrook ont procuré des fruits et légumes frais à la population grandissante de Montréal. Pommes, pommes de terre, tomates, choux, oignons et les fameux melons de Montréal poussaient en abondance dans les sols fertiles du versant ouest du mont Royal. Les fermiers y avaient accès à une bonne source d’engrais, la piste de course Blue Bonnets. Piqueniques, cueillette de pommes et feux de joie comptaient parmi les activités les plus prisées des citadins à l’automne.

 Le melon de Montréal était connu à travers le monde. Pesant jusqu’à 20 lb, une seule portion de ce délice coutait jusqu’à 1 $ (environ 25 $ de nos jours) dans les grands restaurants de Boston et de New York. Même le roi Edward VII d’Angleterre le prisait.

 

 

 

1900 La croissance urbaine se fait au détriment des fermes. Au tournant du siècle, bien des fermiers comme les Décaries commencent à morceler leurs terres.

1903 Le village de Côte-Saint-Luc est incorporé. Le premier à occuper le poste de maire est Luc Prud’homme, suivi de Pierre Lemieux en 1905 et de François-Xavier Décarie en 1909, tous descendants des premiers colons.

1907Carte du secteur montrant les villes et les numéros de lots

Détail de la carte d’A.R.Pinsoneault – Plaque 52, BAnQ, http://collections.banq.qc.ca/ark/52327/224420 ).

1908 Le village de Saint-Pierre-aux-Liens devient une ville sous le nom de Ville Saint-Pierre ; les limites demeurent les mêmes.

Source: Registre foncier du Québec, tiré d’un plan cadastral datant de 1872, avec modifications.

1872-1919 L’Index des immeubles du Registre foncier enregistre des ventes ou des transferts au CPR pendant cette période. Une partie du lot 4723, créé en 1919, comprend les 130 et 131 et une petite section des lots 121 et122, situés à Ville Saint-Pierre ; ainsi que les lots 116, 117, 118 situés à Côte-Saint-Luc. Ces lots forment le Meadowbrook d’aujourd’hui.

Lot Propriétaires avant le CPR
116 Hurtubise, Leduc, Lemieux, Monette, Décarie
117 Leduc, Lemieux, Monette
118 Leduc, Lemieux
121 Trenholme
122 Larche
130 Parent, Monette
131 Décarie

Source : Index des immeubles (Registre foncier du Québec)

(Note : le Registre foncier du Québec a été créé en 1841 et l’Index des immeubles en 1860. Ce tableau reflète les transactions après 1872.)

1919 (circa) – Les troupes reviennent de la “Grande Guerre”, plusieurs des soldats trouvant de l’emploi auprès du CPR. L’entreprise embauche plus de 20 000 vétérans. C’est probablement à cette époque que le CPR a pensé à utiliser ses propriétés dans le secteur à des fins récréatives pour ses employés.

Années 1930 – Les employés du CPR transforment le terrain en parcours de golf.

1948Le terrain devient un golf public, le Wentworth Golf Club.

Détail de la carte : “Street Map of/ Carte des rues de Montréal” par Service B-A Products, Archives de Montréal

1970 – Le club de golf est renommé Meadowbrook. Le nouvel opérateur loue le terrain de CPR-Marathon Realty.

Années 1980-90 – CPR-Marathon Realty cherche à mettre en valeur le terrain.

1989 Les Amis du Parc Meadowbrook est formé.

1999 – Ville Saint-Pierre fusionne avec Lachine.

2000   La ville de Côte Saint-Luc modifie le zonage des 31 hectares de Meadowbrook sur son territoire de résidentiel à récréatif.

2006 – Groupe Pacific acquiert le terrain de Fairmount Hotels & Resorts, une division du CPR, au cout de 3 millions $.

2015 – Le Schéma d’aménagement et de développement de l’agglomération de Montréal désigne l’ensemble du territoire Meadowbrook, à Lachine et à Côte Saint-Luc, comme grand espace vert ou récréatif.

Vue aérienne de Meadowbrook

Avec la permission de Bryan Wolofsky