Suivre la rivière Saint-Pierre à la trace (suite)

    Par Louise Legault

    Nous avons visité précédemment une dizaine d’endroits à Montréal où circulait la rivière Saint-Pierre. Nous reprenons notre tournée au parc Angrignon avec une bonne quinzaine d’arrêts et là encore, quelques surprises agréables. Au sud de l’autoroute 20, ces endroits se dispersent sur tout le sud-ouest de Montréal, allant de LaSalle à Pointe Saint-Charles.

    (1) Géomorphe, échangeur Saint-Pierre; (2) Géomorphe, échangeur Saint-Pierre; (3) Ancien lac Saint-Pierre ou lac-à-la-Loutre maintenant échangeur Turcot; (4) Carrefour Angrignon, LaSalle; (5) Dépôt à neige, LaSalle; (6) Parc Angrignon; (7) Institut Douglas; (8) Parc Beurling; (9) Woonerf Saint-Pierre; (10) Parc du Lac-à-la-Loutre; (11) Parc Grenier; (12) Parc Sutherland-Sackville-Bain; (13) Parc Arthur-Therrien; (14) Parc D’Argenson; (15) Parc Joe Beef

    La carte de cette section montre aussi d’autres ruisseaux montréalais, à savoir d’ouest en est, le ruisseau Glen à Westmount, le ruisseau de la Montagne, qui suit le chemin de la Côte-des-Neiges, le ruisseau Prud’homme, le torrent de la rue Peel et finalement la Petite rivière, dans le Vieux-Montréal. À noter, l’emplacement de l’ancien canal Saint-Gabriel entre la rivière Saint-Pierre et la Petite rivière. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

     

    Nous nous en voudrions à cette étape de ne pas souligner un géomorphe identifié par la docteure en histoire de l’environnement Laetitia Deudon : l’échangeur Saint-Pierre (1), où le tracé des rues et même celui des bretelles d’autoroute rappellent la présence de la rivière.

    Selon Virginie Destuynder de l’École de technologie supérieure, la rivière drainait un bassin de 56 km2. Elle circulait sur 43 km, sans compter la déviation vers la Pointe-à- Callière par le canal Saint-Gabriel qui ajoutait un autre 3,9 km à son parcours. La rivière formait au pied de la falaise Saint-Jacques le Lac-à-la-Loutre, un lac peu profond qui faisait 30 ha de superficie (2). (Le lac a été asséché au 19e siècle avec la création du canal de Lachine, un vieux rêve qui remontait aux premiers temps de la colonie française pour contourner les rapides sur le fleuve Saint-Laurent.)

    Mais retournons à nos moutons. Il ne resterait rien de la rivière dans le parc Angrignon (6); selon la carte du professeur Valérie Mahaut, elle coulait dans le coin sud-est, à l’angle des boulevards des Trinitaires et de la Vérendrye. Les étangs du parc proviendraient-ils de la rivière? Selon François Arteau du groupe Les amis du parc Angrignon, qui fait actuellement des recherches sur l’histoire du parc en vue de son centenaire, ce ne serait pas le cas : les étangs ont été entièrement créés de main d’homme entre 1956 et 1958.

    Prochain arrêt : l’Institut Douglas (6), où une cuvette à l’angle de la rue Stephens et du boulevard Champlain pourrait être selon Christian Nadeau, membre de l’ancien Comité de protection et de mise en valeur du patrimoine bâti et naturel de Crawford Park, un vestige de l’ancien cours d’eau. La rivière coulait aussi où se trouve le parc Beurling (7).

    À Saint-Henri, l’arrondissement Le Sud-Ouest a aménagé au-dessus du collecteur Saint-Pierre un woonerf (8), une rue partagée où circulent piétons, cyclistes et automobiles, qui s’étire à partir de la rue Sainte-Émilie jusqu’au parc du Lac-à-la-Loutre. La construction du collecteur, un ouvrage titanesque réalisé pendant la Grande Dépression pour faire travailler les chômeurs, avait canalisé une bonne partie de ce qu’il restait de la rivière. Il avait laissé une large cicatrice à cet endroit.

    Woonerf sur le collecteur Saint-Pierre. Photo Louise Legault.

    Clin d’œil à l’ancien lac-à-la-Loutre, le parc du Lac-à-la-Loutre (9), à l’angle  de Saint-Patrick et de Courcelle, se trouve à l’extrémité est de l’ancien lac, au confluent de la rivière Saint-Pierre et du ruisseau Saint-Martin. On y a aménagé une micro-forêt; on y trouve aussi un jardin communautaire qui ajoute à la verdure dans ce coin où les condos poussent dru.

    Micro-forêt au parc du Lac-à-la-Loutre avec Le Galdin en construction en arrière plan. Photo Louise Legault

    Nous avions visité précédemment les parcs Duquette, Grenier (10), Sutherland-Sackville-Bain (11) et Arthur-Therrien (12) lors d’une visite organisée dans le cadre de l’enregistrement d’un baladodiffusion par le Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaise (CRIEM). De par sa forme longiligne, le parc Grenier (10), sur la rue Strathmore à Verdun, peut être considéré comme un géomorphe, épousant la forme de la rivière même si elle n’y est plus. L’embouchure de la rivière Saint-Pierre à la hauteur de l’ile des Sœurs se trouvait au parc Arthur-Therrien (12). On y trouve aujourd’hui l’exutoire du collecteur Saint-Pierre, donnant sur la bien-nommée « baie des Capotes »; ce sobriquet vient de l’aspect des lieux lorsque le trop plein du collecteur est vidé directement dans le Saint-Laurent lors de fortes pluies. Ouach!

    Au parc d’Argenson (13), récemment réaménagé avec une piste à rouleaux (pump track) (!), on rappelle la rivière Saint-Pierre par un jardin de pluie, une solution basée sur la nature qui permet de contrôler le ruissellement des eaux de pluie. Autre témoin de la rivière : le parc Joe Beef (14).

    Un autre endroit qui rappelle la rivière Saint-Pierre est le Collecteur de rêves au musée Pointe-à-Callière dans le Vieux-Montréal. Il faut savoir que la rivière a été détournée en partie vers la petite rivière Saint-Pierre par les Sulpiciens afin d’alimenter des moulins. Le musée a mis en valeur le collecteur William, un véritable bijou d‘ingénierie du 19e siècle, qui emprisonnait la petite rivière Saint-Pierre, rendue insalubre avec l’absence de véritables égouts dans le Montréal du 19e siècle. C’est là même où sont débarqués avec le Sieur de Maisonneuve et Jeanne-Mance, les premiers Montréalistes en 1642.  Il n’y a pas plus Montréal que cela!

    Suivre la rivière Saint-Pierre à la carte – 1e partie

    Par Louise Legault

    Il y a longtemps que je voulais retracer le passage de la rivière Saint-Pierre dans le Montréal d’aujourd’hui. J’ai saisi ma chance avec la rencontre de Virginie Destuynder de Hippo Vert l’Avenir.

    Étudiante en hydrogéologie à l’École de technologie supérieure, Virginie a surimposé la carte des  anciens cours d’eau, lignes de creux et bassins versants de l’île de Montréal de la professeure Valérie Mahaut, anciennement de l’Université de Montréal, à la grille des rues d’aujourd’hui. Grâce à la carte de Virginie, nous avons pu repérer de nombreux endroits où pouvait se manifester la rivière. Notre tournée nous a d’ailleurs offert quelques surprises fort agréables.

    Réunir deux cartes : les rivières d’hier et les rues d’aujourd’hui

    Un premier coup d’œil à la carte permet de noter plusieurs milieux humides qui participent à l’empreinte de la rivière (ils sont entourés d’un trait vert sur la carte). Ils sont d’ailleurs identifiés dans le règlement de contrôle intérimaire (RCI) adopté par la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) en 2023. Plusieurs de ces terrains sont la propriété du Canadien Pacifique et jouxtent la plus grande gare de triage dans l’Est du Canada.

    La municipalité de Côte-Saint-Luc est sans conteste la ville de la rivière Saint-Pierre. Côte-Saint-Luc est d’ailleurs un membre honorifique de 200 mètres – Gardiens de la rivière Saint-Pierre et de ses droits pour sa participation à la campagne pour sauver le dernier tronçon visible de la rivière sur le terrain de golf Meadowbrook. Pas moins de dix endroits visités lors de cette première tournée se trouvent à Côte-Saint-Luc.

    Une passerelle dans le parc Nathan Shuster à Côte-Saint-Luc. Photo Louise Legault

    Parmi les surprises, nous avons par exemple découvert le parc Nathan-Shuster (1), tout en haut du boulevard Cavendish, un charmant boisé comprenant des sentiers aménagés et une passerelle sur un milieu humide. Devinez de quel cours d’eau il s’agit ? Côte-Saint-Luc a aussi su conserver deux autres boisés, le premier au parc Pierre-Elliott Trudeau avec sentiers aménagés (la rivière Saint-Pierre se manifesterait à proximité dans une zone humide clôturée [2] le long de la gare de triage du Canadien Pacifique). Le second boisé, la forêt Ashkelon (3), se situe sur les terrains de l’Hôtel de Ville sur le boulevard Cavendish, un milieu humide identifié par le RCI. Il n’y a d’ailleurs pas meilleur remède par temps de canicule que de se retrouver à l’ombre de ces grands arbres.

    On notera aussi à Côte-Saint-Luc les terrains de soccer du Centre communautaire et aquatique (4) sur le chemin Mackle et le parc Allan J. Levine (6). Doit-on y voir des géomorphes, étant donné leur forme longiligne ? On entend par géomorphe un élément du paysage qui retient la forme d’un élément géographique, malgré l’absence de ce dernier. Le parc Allan J. Levine, par exemple, s’étire entre les avenues Wentworth et Blossom en enfilant l’un après l’autre les terrains de sport.

    Un couple de canards colverts croqué à l’étang temporaire du chemin de la Côte-Saint-Luc. Photo Jo Ann Goldwater

    Selon la carte, le terrain de golf Meadowbrook reçoit pour sa part trois tributaires de la rivière Saint-Pierre : celui dans l’axe du chemin Guelph (7), celui qui traverse le chemin de la Côte-Saint-Luc (8) et celui qui traverse carrément le terrain en un long méandre. Le tributaire du chemin de la Côte-Saint-Luc reprend vie chaque printemps et inonde les prairies humides voisines, une partie du terrain de golf et forme en plus un étang temporaire à l’entrée du terrain de golf (9). Un petit pont aurait pu signaler l’endroit où il traverse le chemin de la Cöte-Saint-Luc, mais l’on a préféré une buse, moins pittoresque.

    Petit salut en passant au parc Toe Blake (10), un autre géomorphe, dont la forme triangulaire témoigne de la présence passée de la rivière.

    Étang à l’extrémité du chemin Mackle, malheureusement envahi par le phragmite. Photo Louise Legault

    Les amis du parc Meadowbrook aurait bien aimé voir ajouter à la liste des milieux humides de la CMM l’étang temporaire du chemin de la Côte-Saint-Luc (9), de même qu’un étang permanent au bout du chemin Mackle (5). Surprise : c’est plutôt un milieu humide à la pointe sud de Meadowbrook (12), de l’autre côté de la voie ferrée, qui a été retenu.

    Notre tournée ne serait pas complète sans une mention du Centre commercial Côte-Saint-Luc sur le chemin de la Côte-Saint-Luc (13). Dans le document Un pont vers 2040 Imaginer ensemble l’avenir de Côte-Saint-Luc Guide du processus de révision du plan d’urbanisme publié par la Ville de Côte-Saint-Luc en 2022, on soulignait justement la présence d’un terrain resté à l’état naturel entre les deux voies ferrées à l’arrière du centre commercial : était-ce là que l’on se baignait dans les années 1950 ? Des personnes nous ont aussi raconté se souvenir de la présence de la rivière au parc Hampstead (14) qui apparait aussi sur notre carte.

    À bien y penser, il y avait là de quoi créer un système de gestion naturelle des eaux de pluie qui aurait pu absorber le trop-plein lors de fortes pluies – de plus en plus fréquentes avec les changements climatiques – et ainsi soulager le système d’égouts montréalais qui peine à suffire à la tâche. Avec le détournement de la rivière Saint-Pierre sur Meadowbrook cependant, le système n’aurait plus tout à fait sa raison d’être.

    Atelier de co-création : Ça se trame à Montréal, 9 mai 2024

    Les amis du parc Meadowbrook et Sauvons la Falaise ont été invités à participer avec de nombreux autres groupes environnementaux et des représentants de la Ville de Montréal et du milieu académique à un atelier de co-création qui se penchait sur trois corridors verts qui pourraient voir le jour à Montréal, à savoir :

    • un lien entre le terrain de golf Meadowbrook et la falaise Saint-Jacques;
    • la connectivité dans le grand sud-ouest, reliant notamment le canal Lachine au fleuve Saint-Laurent;
    • le corridor des Ruisseaux, reliant le fleuve Saint-Laurent à la Rivière-des-Prairies dans l’est de Montréal.

    Organisé par le Conseil régional de l’environnement de Montréal et le Pôle sur la ville résiliente de l’UQAM, l’atelier a permis d’identifier les défis de ces projets, de possibles solutions ainsi que des partenaires à solliciter.

    En ce qui concerne le  lien entre Meadowbrook et la Falaise, les principaux obstacles à la connectivité et à la mobilité active se sont révélés être la présence d’infrastructures routières et ferroviaires ainsi que l’absence de pistes cyclables à Montréal-Ouest.  Les participants ont d’ailleurs noté les dangers que représentent les tunnels, viaducs et passages à niveau pour les piétons et les cyclistes.

    Pour réaliser le  lien entre Meadowbrook et la Falaise, plusieurs possibilités ont été identifiées. Une piste cyclable à deux voies  existe déjà à l’extrémité de  l’avenue Brock Sud à Montréal-Ouest, qui mène au pavillon d’entrée de la Bande Verte : il suffirait de la prolonger pour atteindre la piste cyclable du boulevard de Maisonneuve (qui aurait bien besoin de verdissement !). En prolongeant vers le nord un tronçon de piste cyclable sur West Broadway à Notre-Dame-de-Grâce, on pourrait ainsi rejoindre le viaduc sur la rue Westminster et le futur corridor vert d’Hydro-Québec à Montréal-Ouest qui intersecte l’extrémité sud de Meadowbrook. Nous avons depuis noté que certaines de ces suggestions ont été intégrées dans le Plan vélo 2019 de Montréal, mais qu’elles n’ont pas été mises en œuvre à ce jour.

     

    Itinéraires cyclables possibles entre la Falaise et Meadowbrook. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

     

    Les participants se sont aussi penchés sur le désenclavement du quartier Saint-Pierre : par la création d’une piste cyclable le long des avenues Milton et Ronald, les Saint-Pierrois pourraient  rejoindre en toute sécurité la Bande Verte au pied de la Falaise Saint-Jacques; pour ce qui est de Meadowbrook, ce qui a été appelé le « triangle des Bermudes », un véritable spaghetti de voies ferroviaires et de lignes électriques,  empêche tout accès direct par les Lachinois au terrain.

    Faisait aussi partie de la discussion, la conservation de l’arc de la Falaise : la Falaise se poursuit en fait jusqu’à Dorval et est visible le long de l’autoroute 20. Une visite terrain par des membres de Les amis du parc Meadowbrook et de Sauvons la Falaise a permis de constater qu’elle  se résume entre la Bande Verte et Meadowbrook à de minces bandes coincées derrière des immeubles.

    Une question de justice environnementale

    En étudiant les liens possibles entre la falaise Saint-Jacques (au centre droit de la carte) et Meadowbrook (à l’opposé, au centre gauche), les participants ont aussi étudié la carte des vulnérabilités du secteur, plus particulièrement la vulnérabilité aux inondations.

    Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

     

    Nous avons été frappés par le fait que les quartiers à plus faible revenu sont aussi les plus vulnérables, soient les secteurs en rouge et en orange sur la carte, en l’occurrence le quartier Saint-Pierre (VSP) en plein milieu de notre illustration et un peu plus haut, le quartier Westhaven (WH).

    Pour savoir si votre quartier est vulnérable aux inondations, vous pouvez consulter l’Atlas des vulnérabilités .